Jules Rouget envoyé spécial de « La Dépêche »,
nous présente une interview exclusive, réalisée en 1975, d'un bien mystérieux personnage : Jacques Bergier et son avatar Mik Ezdanitoff.
Mik Ezdanitoff existe, je l'ai rencontré !
phonétiquement « Is dat niet tof », du patois marollien signifiant « c'est pas beau ça ? »
À la page quarante-cinq de « Vol 714 pour Sydney » intervient un curieux personnage, le célèbre Ezdanitoff de la revue « Comète »,
un savant qui « tient extra terrrestrres au courrantt activités humaines dans tous domaines ».
Ce savant tous les lecteurs de « Tintin » le savent, n'est autre que Jacques Bergier, l'auteur du « Matin des magiciens » et fondateur de la revue « Planète »
avec son ami Louis Pauwels.
Raconter la vie de Jacques Bergier serait une entreprise gigantesque qui remplirait plusieurs volumes.
Espion, terroriste, écrivain, spécialiste de la science-fiction et de la littérature fantastique, éditeur, homme de sciences,
Jacques Bergier est tout cela à la fois et sans doute bien plus encore. Membre de l'Académie des sciences de New York (une académie parmi d'autres)
il a découvert les effets de l'eau lourde sur les réacteurs et du refroidissement électronique des piles nucléaires. Héros de « Tintin »,
il est aussi le seul personnage réel a être entré comme un charme dans la plus illustre bande dessinée...(1) « Je suis une légende » aime-t-il dire en souriant.
Voici donc l'interview d'un extra-terrestre (car avec lui on ne sait jamais) qui a les pieds sur terre.
Tintin : Quel rapport y a-t-il entre la Science-Fiction (ou S.F.) et la science ?
J.Bergier : Il n'y en a pas. La S.F. consiste en des histoires sur la technique, ce qui n'a que peu de rapports avec la science.
Il n'y a pas de fiction actuellement qui se penche sur les sciences, sur l'avenir des sciences et sur le problème des savants.
La S.F. telle qu'elle existe est une fiction d'inventions.
Tintin : La S.F. peut-elle devenir autre chose ?
J.Bergier : Je ne crois pas parce que ce ne serait pas intéressant. La S.F. appartient au domaine du roman d'aventures.
Celui-ci commençait à s'épuiser à mesure que disparaissaient les continents inconnus, les îles inconnues, etc., à mesure aussi qu'augmentaient les moyens techniques.
Aujourd'hui, l'explorateur perdu sur une île déserte envoie un message par radio et c'est tout, il n'y a plus d'aventure.
La S.F. a mené au centre de la Terre, sur les planètes, dans d'autres époques et d'autres temps, et en ce sens elle est intéressante.
Mais la science pure n' est pas traduisible en littérature. Il y a bien eu un livre de Rosny jeune basé sur le dernier théorème de Fermat, mais ça ne
présentait pas beaucoup d'intérêt pour le lecteur ordinaire. La S.F. traite de nouvelles inventions. Je vais vous raconter une histoire de S.F. À partir de quelques traces
d'un nouveau métal dans un tube à essais des savants fabriquent l'arme absolue. Des usines secrètes se lèvent dans le désert. Les plus grands empires du monde s'effondrent.
La plus grande guerre qui ait jamais eu lieu se termine... C'est l'histoire de la bombe atomique. Elle est entièrement vraie mais c'est de la S.F., une histoire d'invention.
John W. Campbell qui fut probablement le plus influent éditeur de S.F. et un grand auteur du genre voulait employer le terme de « berceuse pour techniciens ».
Si vous voulez, le postulat de la S.F. (en termes très mauvais) est celui-ci : toutes les inventions marchent et on met à la disposition des inventeurs tous les moyens voulus.
C'est ce qui s'est passé pour la bombe A. et pour le voyage dans la Lune. La S. F c'est de l'aventure et du conflit.
Tintin : Est-ce ce qui explique son succès actuel ?
J.Bergier : Cela, et aussi autre chose que nous devons à la bande dessinée.
Il est apparu, depuis « Tintin » justement, une bande dessinée intelligente.
Les gosses qui la lisaient à huit ans en ont maintenant dix-huit.
Ils veulent aujourd'hui quelque chose d'aussi intelligent avec plus de texte et moins ou pas de dessins.
Ils ont fait le dur noyau de lecteurs de S.F. La S.F. et la bande dessinée se complètent naturellement car elles sont deux littératures de choc.
Une fois qu'on a reçu le choc de l'extraordinaire est-il absolument nécessaire d'avoir des héros, des bandits, etc. ?
Tintin : J'ai toujours personnellement regretté de vous voir face à Tournesol sans jamais entamer le dialogue avec lui.
J.Bergier : Il y a une raison à cela qui est la surdité de Tournesol. Savez-vous, par parenthèse, que l'académie des sciences est le corps constitué où il y a le maximum de sourds ?
Tournesol a beaucoup de difficultés à communiquer. Mais j'ai eu une conversation sérieuse à ce sujet avec Hergé. Je lui ai dit : « Mon cher Hergé, vous parlez du professeur Tournesol, mais que professe-t-il et où professe-t-il?...
Alors je vous propose ceci: on apprendrait un jour que Tournesol a remplacé Einstein à l'université de Princeton et qu'il a là une chaire de sémiologie,
la science de la science, la science de l'expression. Je présenterais le professeur Tournesol en lui apportant mon hommage et
ce pourrait être le point de départ de nouvelles aventures à la découverte de la science absolue. » Peut-être Hergé s'en servira-t-il un jour...
Tintin : Vous abordez dans « Vol 714 » un problème qui vous est cher, celui des extra-terrestres.
J.Bergier : Bien entendu c'est écrit à un niveau de simplification nécessaire.
Le premier problème est celui des soucoupes volantes. La réponse est simple : il n'y en a pas.
Tintin : Il y a pourtant de plus en plus de gens qui prétendent en avoir vu.
J.Bergier : Oui mais, vous le savez, il y a aussi des gens qui ont vu le Père Noël ou des sorcières sur un balai.
Je peux vous trouver en dix minutes dix millions de personnes qui ont vu le soleil se lever et se coucher.
Or le soleil ne se lève pas et ne se couche pas... la Terre tourne sur elle-même.
Les témoignages en ce domaine ne valent pas lourd. J'ai eu récemment un dialogue de sourds à la télé suisse romande.
On me dit : « Comment expliquez-vous que les astronautes d'Apollo XI aient vu une soucoupe se poser à côté d'eux ? » .
Ils n'ont jamais rien vu de tel dis-je, la NASA l'aurait dit. Réponse: « La NASA cache tout. »
Alors là, le dialogue est difficile. On peut simplement dire ceci : s'il y avait des soucoupes volantes elles auraient été abattues par les fusées automatiques des Soviétiques.
Ce sont des fusées qui ne discutent pas et attaquent automatiquement tout objet volant non identifié. Tout le territoire de l'Union soviétique (et celui des pays satellites) en est couvert.
De plus, le ciel est surveillé par des volontaires qui font des enregistrements et des rapports.
Tous ces documents ont été mis l'année dernière à la disposition de trois académiciens qui sont parmi les plus grands savants du monde.
Leurs conclusions ont été publiées dans la Pravda et j'en ai l'intégrale : il n'y a absolument rien.
Tintin : Ce choc de l'extraordinaire en bande dessinée, n'est-ce pas Jacobs qui vous l'a donné ?
J.Bergier : Oui, je le trouvais absolument extraordinaire en ce sens que c'est sérieux.
Les personnages ne sont pas des caricatures et on peut en retrouver l'équivalent dans la réalité. De plus, toutes les inventions représentées
(à part la machine à voyager dans le temps) sont parfaitement sérieuses également.
Tintin : La guerre météorologique est donc possible ?
J.Bergier : À tel point que l'Union soviétique a demandé vendredi dernier que le sujet soit inscrit en priorité aux Nations Unies
pour aboutir à l'interdiction de l'arme météorologique avant qu'on ne s'en serve.
Tintin : Pour en revenir à vous, comment avez-vous fait votre apparition dans « Tintin » ?
J.Bergier : J'avais participé au scénario de « Tintin et les oranges bleues », sur le plan technique.
Je connaissais déjà Hergé par Louis Pauwels et je suis parti d'un fait vrai : les travaux d'un biologiste israélien qui a appris à des fruits à pousser dans l'eau salée.
Ce sont des travaux que l'on poursuit actuellement, car le jour où l'on réussira à faire pousser du riz et des fruits dans l'eau salée,
le problème de la faim dans le monde sera résolu; on cultivera le voisinage des océans. C'est donc le problème le plus important pour l'humanité.
J'avais alors imaginé que les premiers résultats du professeur en question donnaient des oranges lumineuses dans l'obscurité.
J'avais aussi introduit quelques idées techniques amusantes qu'on ne connaît pas parfaitement, par exemple le fait qu' un vieux poste de radio à lampes peut
facilement être transformé en émetteur par un scientifique un peu bricoleur. J'ai ensuite dîné avec Hergé et il m'a demandé : « Est-ce que cela vous ennuierait beaucoup
si je vous prenais comme modèle ? » J'ai répondu : « Non seulement cela ne m'ennuierait pas, mais j'estime que ce serait la vraie gloire. » Et, en effet, c'est la vraie gloire.
Car enfin, qui connaît le prix Nobel de l'année dernière ? Pas vous, pas moi ! Tandis que tout le monde connaît Ezdanitoff. Et puis, je suis le seul personnage de « Tintin » pris dans le réel (1).
C'est aussi extrêmement utile pour moi. À l'age où je suis et dans la position où je suis, il y a le risque de fossilisation. Les gens commencent à me traiter de « Maître »,
je deviens membre de diverses académies, alors il est agréable et réconfortant de savoir qu'on est aussi un personnage de « Tintin ».
Quand j'étais espion, je n'avais pas l'air d'un espion; quand j'étais terroriste, je n'avais pas l'air d'un terroriste; quand je suis savant, je n'ai toujours pas l'air d'un savant.
C'est fort gai.
Tintin : Le problème des extra-terrestres reste néanmoins posé.
J.Bergier : Il arrive que des émissions de radio ou de TV reparaissent quelques secondes, minutes, heures et parfois, dans certains cas plus rares, quatre ans plus tard.
Or, ce n'est pas possible scientifiquement, et en 1961 (2) j'avais émis l'hypothèse que des mécanismes mis au point par des extra-terrestres enregistrent sur bande
magnétique nos émissions et les renvoient vers la planète d'origine. Or, en janvier de cette année, le président de la société astronomique écossaise a réussi,
en partant de cette idée, à obtenir, à partir des échos retardés, un diagramme où l'on voit la constellation du Bouvier telle qu'elle était visible il y a 13.000 ans.
C'est donc un signal. On a réussi à localiser l'origine de ce signal. C'est un corps mobile qui tourne autour de la Terre comme la Lune et qui a été détecté par radar.
Actuellement on essaye d'obtenir une réponse parce qu'on pense que ce signal n'est fait que pour attirer notre attention et que si on arrive à manipuler l'objet émetteur,
il nous donnera la science qui existait dans la constellation du Bouvier et débitera réellement son message.
Tintin : Croyez-vous à la présence d'extra-terrestres parmi nous ?
J.Bergier : Je crois qu'il ne faut pas exagérer. On peut tout au plus imaginer un contact il y a 100 millions d'années et ensuite une surveillance par des mécanismes automatiques.
Mais c'est une hypothèse optimiste et qui ne conduit qu'à un contact tous les 100 millions d'années.
(1) Sept personnages en réalité : Al Capone, Henry de Monfreid, Basil Zaharoff, Marcel Dassaut, Fernand Legros, Groucho Marx et ... Jacques Bergier !
(2) Article « Des intelligences extraterrestres ? » in « Planète » n°9, puis dans « À l'écoute des planètes », éd. Fayard 1963.
Propos recueillis par Christian Maillet
« Tintin-RENCONTRE », supplément du Journal de Tintin belge n°14, 30ème année, 01/04/1975.
Pour en savoir plus :
A lire « Les Extraterrestres dans l'histoire »Bonus :
Le 30 novembre 1996, l'étude Tajan mettait aux enchères le lot « 124 bis » de l'exemplaire « Flight 714 » dédicacé par Hergé à Jacques Bergier, durant la vente « Tintin ad'hoc ». « A mon ami Jacques Bergier qui lirai Tintin en plus de langues qu'il n'existe d'éditions ... voici toujours une version où Ezdanitoff porte le nom (beaucoup plus Britannique !) de Kanrokitoff. With best wishes from Hergé ! » (septembre 1968).
Jacques Bergier (1912-1978).
Mik Ezdanitoff de la revue « Comète ».
La science extra-terrestre.
Mik Ezdanitoff l'initié.
Le capitaine ne croit pas aux O.V.N.I.S.
Tintin reste sans voix.
Le capitaine se fâche !
La transmission de pensée ...
Un O.V.N.I ...?
Laszlo Carreidas est un parfait cobaye.
En route vers la sortie.
Mais oui Tintin! ou O.V.N.I ou U.F.O.
Vos paupières sont lourdes... lourdes...
Embarquement immédiat.
Allo grand pilote, décollage demandé.
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