Jean-Loup de la Batellerie et Walter Rizotto

Avec l'aide de Gabriel Coatantiec, l'un des chroniqueurs de ce site, Jean-Loup de la Batellerie, et son photographe Walter Rizotto, de l'hebdo «Paris-Flash», ont exploré le corpus tintinesque afin de découvrir les techniques narratives de Hergé.




Les techniques de Hergé




Introduction:

Le style de Hergé est reconnaissable au premier coup d'œil, il a été qualifié par une expression : « la ligne claire ».
Au-delà de cette définition générale, il est possible de repérer en feuilletant les albums, quelques astuces et procédés du dessinateur, qui lui permettent de mettre en valeur sa narration de façon homogène en employant en quelque sorte des « trucs du métier ».
Certains sont classiques et bien décrits, d'autres, moins connus, peuvent être observés par un lecteur attentif.



1) Le fond coloré.

Dans certaines scènes, le décor en arrière plan des personnages n'est plus dessiné, mais simplement remplacé par un fond uni ayant la couleur ambiante de la scène.
Le lecteur se rend à peine compte de l'absence de décor, car celui-ci étant dessiné avant et après reste présent dans son esprit.
Ce procédé a également comme avantage de ne pas disperser l'attention sur des décors accessoires et de la concentrer sur les personnages, la couleur choisie est en continuité avec le décor préalable et traduit l'ambiance de la scène.
Tout se passe comme sur une photo avec une petite profondeur de champ où les personnages au premier plan sont nets, mais, où le décor à l'arrière plan est flou et réduit à un fond coloré.
Les exemples sont légions dans des albums comme les « 7 boules de cristal » ou le « Temple du soleil », à l'inverse dans la version de 1965 de « l'île Noire » les décors du très talentueux Bob De Moor, sont très fouillés, très exacts, mais nuisent à l'action.



2) Le gros plan.

Il est assez rare. En général, les personnages sont dessinés soit en pied, soit en plan moyen. Le gros plan se prête mal au style des personnages de Hergé et particulièrement à Tintin, car on verrait mal le petit reporter en gros plan avec par exemple le dessin rapproché des narines.
Cependant les deux derniers albums parus: « Vol 714 pour Sydney » et « Tintin et les Picaros » comprennent un assez grand nombre de plans assez rapprochés, comme celui de Rastapopoulos (aussi laid que méchant) (Vol 714, page 37,b3,c3), du général Alcazar (Picaros, page 31,b4,c3), du capitaine Haddock (Vol 714, page 10,b4,c4) et marquent une légère évolution de style.
On pouvait relever quelques exemples de gros plans, plutôt rares dans les albums plus anciens: comme celui du capitaine Haddock (Etoile, page 30,b4,c3) ou de Tournesol (On a marché, page 46,b4,c3).



3) Les personnages en pied sur le bord inférieur de la case.

Très souvent, les personnages reposent sur la ligne horizontale limitant le bas de la vignette. L'image forme ainsi comme un petit théâtre dont la scène est le bord inférieur de l'image et que nous verrions comme si nous étions assis en contrebas dans un fauteuil d'orchestre.



4) Des images dynamiques: la lecture de la gauche vers la droite et la succession cinématographique d'images en mouvement.

L'œil du lecteur regarde la vignette comme on lit un livre, de la gauche vers la droite et de haut en bas. Il s'en suit que le personnage semble avancer quand il est situé à gauche de l'image, tourné vers la droite, avec un espace libre sur la droite, et qu'il marche.
De même on a l'impression qu'il monte, si la pente est orientée du bas à gauche vers le haut à droite, que le personnage est tourné vers la droite avec un espace libre devant lui.
Plus fort encore, c'est la séquence cinématographique où l'on peut suivre plusieurs images, souvent sans texte ni dialogue formant un véritable film très dynamique: Citons comme exemples la poursuite du pickpocket la nuit, véritable travelling, ou Milou qui tente en vain de se débarrasser d'une boite de crabe vide.
Tout ceci est devenu bien classique, mais c'est Hergé qui a mis au point ces techniques d'animation dans ses premiers albums.



5) Les personnages débordent sur les bulles.

Il ne s'agit pas de ballons (sauf les points d'exclamation et d'interrogation), mais plutôt de vignettes rectangulaires genre vignettes auto collantes pour cahiers d'écoliers, avec des coins biseautés, et sur lesquelles les personnages débordent, comme si la vignette était glissée entre le décor et le personnage. Il s'en suit que les bulles sont mieux intégrées à l'image et font corps avec le personnage qui parle.



6) Le récitatif court (transition).

Celui-ci est très caractéristique de la bande dessinée de Hergé, comprenant quelques phrases de transition chronologique écrites d'un belle écriture manuscrite ronde, penchée comme on l'enseignait à l'école dans les années 1950, du style : Et quelques minutes plus tard ...



7) Le récitatif long (explication).

Il arrive, au cours du récit que le narrateur ait besoin d'écrire un dialogue explicatif d'une certaine longueur, comme la tirade de G.Loiseau (Secret, page 57,b1,c2).
Le visage du personnage qui s'exprime est alors dessiné en petit au bas de la vignette et le texte occupe presque toute la surface de la case, mais l'ensemble de la page est rééquilibré par d'autres vignettes où le dessin prédomine. On a souvent l'idée préconçue que dans la bande dessinée de Hergé, le dessin est prépondérant par rapport au texte. Cela est vrai pour le récitatif long, qui n'a pas l'importance que l'on trouve dans les albums de Jacques Martin ou de E.P.Jacobs, mais en ce qui concerne les dialogues proprement dit, on remarquera qu'ils sont en général étoffés et assez longs : Tintin reste une bande dessinée littéraire.



8) Les bulles superposées.

On remarquera la légère superposition des bulles, dans le sens de la lecture, la réplique à lire en dernier étant celle qui recouvre la bulle à lire en premier. C'est un procédé très simple, intuitif et sans ambiguïté permettant de lire les dialogues dans le bon ordre (Secret, page 1,b2,c3).


9) Les petites gouttes de sueur.

Ceci est très caractéristique chez les personnages de Hergé et fonctionne très bien; quand ceux-ci sont en proie à une vive émotion, que ce soit la surprise, la peur ou la joie, on les voit entourés de quelques fines gouttelettes.
Plus classique, le mouvement est également exprimé de façon très efficace par des traits et surtout des petites spirales.



10) L'amorce des décors.

On croit souvent que les décors chez Hergé sont entièrement dessinés à chaque fois. En fait, la plupart du temps, ils ne sont que suggérés par l'amorce d'un meuble ou d'un tableau dont nous avons pris connaissance dans une case plus grande ou plus détaillée, mais dont le dessin n'est pas repris à chaque fois.
Par exemple, on ne voit complètement le salon de Marc Charlet, l'explorateur que sur une seule vignette (7 boules, page 19,b3,c1), le décor des autres cases étant de simples amorces suggestives de ce décor; il y a ainsi une économie de moyens dans l'expression, marque d'un grand artiste.



Conclusion:

Il existe ainsi toute une grammaire de la narration picturale dont Hergé a établi les bases, faisant de lui un pionnier, et un des fondateurs de la bande dessinée franco belge.
Son œuvre qui compte 24 albums, comporte de nombreuses expériences, mais se caractèrise surtout par une grande unité de ton.



Le fond coloré

Le fond coloré.


Le gros plan

Le gros plan.


Les personnages en pied

Les personnages en pied.


Des images dynamiques

Des images dynamiques.


Les personnages débordent sur les bulles

Les personnages débordent sur les bulles.


Le récitatif court (transition)

Le récitatif court (transition).


Le récitatif long (explication)

Le récitatif long (explication).


Les bulles superposées

Les bulles superposées.


Petites gouttes de sueur et spirales

Petites gouttes de sueur et spirales.


L'amorce des décors

L'amorce des décors.






Salon de l'explorateur Marc Charlet

Vue panoramique du salon de l'explorateur Marc Charlet.


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