Moulinsart ! C'est la Bianca qui nous avait menés jusque là. Aldo, pestait. Sa Lancia souffrait sur les pavés, mais ça ne l'empêchait pas de s'en donner à c½ur joie sur les petites routes de campagne. Je le laissais causer. Son monologue me permettait de m'isoler dans les lumières du paysage. Je garde la tête remplie de champs de betteraves ponctués de bouquets de peupliers, de chemins de terre qui débouchent sur la route au détour d'un virage, de grosses bâtisses roses et placides qui attendent l'aventure...
L'aventure, je l'ai vécue une fois de plus sur les traces de la Castafiore. Dommage, « Paris-Flash » était également sur le coup. Mais, je reste particulièrement content du cliché qui a fait la Une du « Tempo di Roma »; cette interrogation de l'oiseau face au talent de l'artiste: un instantané rare l Quand j'ai quitté le château à la faveur de la panne de courant, j'ai donné les rouleaux de pellicule qui pouvaient intéresser la gazette d'Aldo. Il est rentré à Rome, je suis resté au village pour oublier la quête du scoop, l'agitation du travail.
Je me suis promené dans les champs labourés, les orées de forêt, aux détours des sentiers... « Ah, le printemps !... Le joli mois de mai ! La nature dans toute la fraîcheur du renouveau !... » comme le dit si bien le capitaine Haddock. Le gazouillis des oiseaux ! Les fleurs des bois !... Et ces parfums !... Cette bonne odeur d'humus, de champignons.. Quel apaisement ! Et cette humidité qui remonte de la surface de la terre après l'orage... ! J'aurais bien passé quelques jours de vacances à contempler les paysages si je n'avais surpris le curieux manège de l'accompagnateur de la Castafiore.
Igor Wagner à bicyclette... j'ai pris quelques clichés au hasard, un vieux réflexe professionnel. Ensuite je l'ai suivi et je me suis retrouvé au parc de Moulinsart. Juste à temps pour saisir l'instant où le pianiste enjambait l'appui de fenêtre. Nouveaux clichés intéressants...
C'est alors seulement que le château retint toute mon
attention. La première fois, j'étais trop absorbé par le travail. Cette
beauté classique, cette symétrie, j'aurais pourtant dû la remarquer
plus tôt: la pierre de France qui s'envole vers le ciel en ardoises
bleues et qui, vers là-bas, se noie dans les géraniums du parterre.
Une harmonie rare qui se prolonge au travers des jardins à la
française se baignant dans une propriété au caractère très British.
Ce moment indistinct où les feuillus perdus dans les massifs de
rhododendrons et de magnolias prennent le pas sur le gazon pour
peu à peu se fondre dans les bois.
Surprendre les essences rares se mêler insensiblement aux essences
nobles... érables, hêtres pourpres, platanes, devenir de rosiers en
buissons, chênes, châtaigniers, pins; de houx en lierres, noisetiers,
bouleaux, saules têtards.
Et la forêt s'éclaircit à nouveau pour
s'évanouir dans les prés ... Embrassé par le mur de clôture,
côté chaussée,
Moulinsart émerge de la nature sans rupture.
L'ordre au c½ur de l'aventure... Une espèce de centre de l'univers en quelques sorte...
Gino, photographe indépendant.
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